mardi 6 mars 2007

L'Église Notre-Dame de Paris sur la terre de Sainte-Marie - 1

La seconde pièce de Mabillon estime tout aussi concluante, c'est une charte d'Étienne, comte de Paris (2).

(2) Histoire latine du diocèse de Paris, par Gérard Dubois, t. I, p. 556. On y trouve en entier la charte en question, tirée d'un des cartulaires de l'Église de Paris, appelé Le petit pastoral. - Baluze, dans ses Notes sur les Capitulaires, t. II, p. 1060, en cite le commencement et la fin.

Dans cette pièce, datée de l'an 805, le comte Étienne et sa femme, la comtesse Amaltrude, donnent toutes leurs propriétés du lieu appelé Sulciacus, dans le Parisis, à la très-sainte église de Marie, mère de Dieu, de Saint-Étienne et de Saint-Germain, bâtie dans l'intérieur des murs de la ville, et où l'on voit présider l'évêque Inchad. Sacrosanctae Mariae ecclesiae Deique Genitricis et Sancti Stephani protomartyris et domni Germani, ubi Inchadus Parisiacae urbis rector praeesse videtur, quae est intra murum Parisii constructa, ego Stephanus Christi hominis Dei gratiâ comes necnon et Amaltrudis comitissa donamus res nostras quae sunt in agro Parisiaco, in loco qui vocatur Sulciacus. Or cette église de Marie, Saint-Étienne et Saint-Germain, quelle est-elle, sinon la cathédrale? Quelle autre peu être appelée l'église où l'on voit présider l'évêque, l'église bâtie dans l'enceinte des murailles, l'église mère, comme on la nomme dans un autre endroit de la même pièce, ad ipsam matrem ecclesiam?
Mais voici qui est bien plus clair encore et plus concluant: jusqu'à l'époque où nous sommes arrivés, la cathédrale de Paris se trouve presque toujours désignée sous le vocable de Marie, suivi des noms de plusieurs patrons secondaires. A dater de Louis le Débonnaire, successeur de Charlemagne, il en va autrement; elle n'est plus désignée que sous le vocable de Marie tout seul; et sauf de très-rares exception, on ne l'appelle plus que l'église Notre-Dame, soit parce que le langage populaire, qui finit toujours par prévaloir dans la dénomination des choses, est ennemi des longues nomenclatures et veut surtout de la brièveté, soit parce qu'à dater de cette époque les rois, les princes et les peuples, pénétrés de plus en plus de dévotion pour l'église Notre Dame, semblent n'y voir plus que la sainte Vierge à honorer.
Considérez, en effet, comme son culte y progresse avec la suite des âges. Vers l'an 821 l'évêque Inchad avait prié le roi, au nom de la sainte Vierge, de confirmer l'église de Paris dans la possession de tous ses droits, comme l'avaient fait Pépin le Bref et Charlemagne. A cette requête, Louise le Débonnaire répond que non-seulement il acquiesce à la demande, mais qu'il statue en outre (1) qu'aucun comte, aucun magistrat revêtu du pouvoir judiciaire ne pourra ni exercer ce pouvoir ni lever aucune contribution sur la terre de Sainte-Marie qui se trouve dans l'île, et il répète jusqu'à huit fois dans cette ordonnance l'expression si remarquable de terre de Sainte-Marie; tant sa piété trouve de bonheur à voir dans Marie non-seulement une mère qui accueille ses enfants dans son temple, mais une reine dont le sceptre vénéré couvre, protége et consacre la terre qui l'entoure.

(1) Insuper eidem Inchado episcopo suisque successoribus concessimus... ne ullus comes neque ulla judiciaria potestas in terrâ Sanctae Mariae in ipsâ insulâ consistente ullum censum de terrâ Sanctae Mariae accipiat. Baluze, appendice aux Capitulaires, t. II, col. 1498.

En 867 l'église de Paris ayant été dépouillée d'une partie de ses biens, soit par les Normands, qui remontaient fréquemment la Seine et pillaient tout le pays, soit par les seigneurs, qui pour s'agrandir usurpaient souvent la propriété du faible, de telle sorte qu'elle ne pouvait plus suffire aux frais du culte, à l'entretien et à la subsistance de son clergé et de ses employés, l'évêque Énée (2)

(2) Cet Énée, évêque de Paris, était un savant prélat qui a écrit contre le schisme de l'Église grecque, qu'il avait vu commencer: car il était contemporain de Photius.

adressa à Charles le Chauve une demande tendant à obtenir la rentrée en possession de ce qu'on lui avait enlevé; et ce prince, mû par le même dévouement à Notre-Dame que ses prédécesseurs, rendit à Compiègne une ordonnance qui restitue "à l'église de La Mère de Dieu et bienheureuse Vierge Marie, sur les réclamations d'Énée son évêque, l'île de la Seine la plus voisine de la Cité et qui lui était contiguë du côté de l'orient", c'est-à-dire évidemment ce qu'on appelle aujourd'hui l'île Saint-Louis. Reddimus insulam eidem civitati in orientali plagâ contiguam atque viciniorem ecclesae sanctae Dei Genitricis et semper Virginis Mariae (1).

(1) Cette ordonnance est intégralement citée par Baluz, Gérard Dubois et dom Bouquet. Elle se trouve aussi dans le petit Cartulaire de l'Église de Paris.

L'année suivante, en 868, le même évêque de Paris, Énée, trouvant les revenus de l'île Saint-Louis insuffisants pour faire face à toutes les dépenses, adressa une seconde requête au roi; et celui-ci lui répondit aussitôt par une ordonnance datée de Senlis, où il déclare restituer à l'église fondée en l'honneur de la Mère de Dieu, toujours Vierge, à l'église gouvernée par l'évêque Énée, un domaine situé en Poitou sur les bords de la rivière du Clain. Quaia honorabilis vir, Aeneas Parisii episcopus, deprecatus est ut ecclesiae sibi commissae, in honore Dei Genitricis et semper Virginis Mariae fundatae, auxilium praeberemus... memoratae sanctae sedi Parisii
praefatoque episcopo reddidimus, reddentesque restituimus
(2).

(2) Extrait du Cartulaire de Paris, et cité par Baluze, t. II, col. 492.

On ne peut dire plus formellement que la cathédrale de Paris a été fondée en l'honneur de la sainte Vierge.
Aussi Marie, du fond du sanctuaire où elle était si vénérée, faisait rejaillir sur tous les alentours la puissance de sa protection; et dans toutes les angoisses de la vie, c'était à elle qu'on avait recours. Vers les derniers jours de l'année 885, trente mille Normands, sous la conduite de Sigefroy leur chef, assiégeaient Paris; et tous ceux qu'ils pouvaient faire prisonniers, ils les égorgaient sans pitié, puis les jetaient dans les fossés. Déjà le fossé qui défendait l'approche d'une des plus fortes tours était presque comblé, et bientôt ces terribles enfants du Nord, marchant sur les cadavres, allaient faire irruption dans la ville. Dans cette extrémité, Gauzelin, évêque de Paris, s'avance sur les remparts et voit le chef de l'armée ennemie, immolant comme de tendres agneaux à la boucherie ses chers diocésains, à mesure qu'ils tombent en son pouvoir. A ce spectacle, il est saisi d'une vive émotion, ses yeux s'emplissent de larmes, et élevant les yeux et les mains vers Marie, le secours des chrétiens: "Auguste Mère du Rédempteur et du salut du monde, s'écrie-t-il, étoile radieuse de la mer qui effacez tous les astres par votre éclat, écoutez favorablement la prière du serviteur qui vous implore."

Alma Redemptoris Genitrix mundique salutis,
Stella maris fulgens, cunctis praeclarior astris,
Cede tuas precibus clemens aures rogitantis
(1).

(1) Abbon, chant Ier, vers 313

Allusion remarquable à nos chants sacrés, Alma Redemptoris Mater et Ave Maris stella, d'où nous serions tentés de conclure que déjà ces deux chants étaient connus dans l'Église. A peine a-t-il achevé cette courte prière, qu'il saisit une flèche, lance son trait au chef normand, et le trait dirigé d'en haut, comme autrefois la pierre qui tua Goliath, le renverse dans la poussière à côté des prisonniers qu'il venait d'égorger. Le bruit de cette mort parcourt comme l'éclaire toute l'armée ennemie; ces fiers Normands, privés de leur chef, sentent leur courage abattu, ils se déconcertent, s'enfuient épouvantés; et Paris est sauvé. On conçoit mieux qu'on ne peut dire l'allégresse de tous les habitants, délivrés d'un danger si grand. Mais leur allégresse fut digne de leur foi, elle fut toute sainte. Se reconnaissant redevable de leur salut à la Mère de Dieu, ils promenèrent son image en triomphe dans les rues, chantant de toutes parts des cantiques en son honneur. Écoutons le poëte Abbon, auteur contemporain et témoin oculaire des faits qu'il raconte, bien plus qu'il ne les chante dans ses lignes métriques. "On voit, dit-il (Abbon, chant Ier, vers 328), triompher dans les transport de la joie la ville consacrée à l'auguste Marie, dont le secours vient de nous sauver et de nous rendre la sécurité; offrons-lui, selon toute l'étendue de notre pouvoir, d'ineffables actions de grâces. Que nos voix montent vers elle, éclatent en saints cantiques et fassent retentir l'air de ses louanges: car elle en est digne. Salut, gracieuse Mère du Seigneur, Reine des cieux, qui avez daigné sauver Lutèce des mains cruelles et du glaive menaçant des Danois."

Urbs in honore micat celsae sacrata Mariae,
Auxilio cujus fruimur vitâ, modo tuti.
Hinc indicibiles illi, si forte valemus,
Reddamus grates, placitas reboemus et odas;
Vox excelsa tonet laudesque sonet, quia dignam.
Pulchra parens salve Domini, Regina polorum,
Quae saevis manibus Danaum gladioque minaci
Solvere Lutetiae plebem dignata fuisti.

Remarquons ici comme la dévotion à Marie progresse avec la succession des âges. A la fin du neuvième siècle, ce n'est plus seulement la cathédrale qui est dédiée et fondée en l'honneur de Notre-Dame; ce n'est plus seulement le sol qu'elle possède dans l'île qui est appelé la terre de la sainte Vierge, c'est Paris tout entier qui est consacré à Marie; l'histoire l'atteste par la voix d'Abbon.

Urbs in honore micat celsae sacrata Mariae.

Aussi voyons-nous dans les premières années du dixième siècle (en 907, 909 et 911), Charles le Simple, suivant le courant du sentiment public, l'exemple des rois ses prédécesseurs et l'instinct de sa propre piété, faire à l'église Sainte-Marie (c'est ainsi qu'il appelle la cathédrale) et à son évêque Anschéric plusieurs concessions pieuses, pour réparer les dégâts qu'y avaient faits les Normands (Dom Bouquet, t. IX, p. 505); et cette dévotion s'accrut encore vers le milieu du siècle suivant, à l'occasion du fléau dit le mal des ardents. Cette contagion, qu'il ne faut pas confondre avec le mal de même nature et de même nom dont Paris fut, en 1129, miraculeusement
délivré par l'intercession de sainte Geneviève, consistait dans des plaies brûlantes qui minaient et consumaient les corps, jusqu'à ce que la mort en terminât les tortures; et ce fléau désolait non-seulement le Parisis, mais tous les pays des environs. Quelques-uns, dit le chroniqueur Flodoard (Dom Bouquet, t. VIII, p. 1949), contemporain et témoin des faits qu'il raconte, "quelques-uns échappaient à la maladie en se réfugiant dans certains oratoires consacrés aux saints; mais, ajoute-t-il, le plus grand nombre trouva sa guérison dans l'église de Marie, la sainte Mère de Dieu, et tous ceux, sans exception, qui furent assez heureux pour pouvoir se réfugier à Notre-Dame de Paris furent guéris du fléau. Quelques-uns, ayant voulu retourner trop tôt chez eux, sentirent se rallumer dans leurs membres l'incendie qui s'était étint, et ils ne purent être délivrés qu'en retournant se renfermer à Notre-Dame, où le duc de France, Hugues le Grand, père de Hugues Capet, avait la charité de les nourrir et de pourvoir à tous leurs besoins."

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