lundi 26 mars 2007

L'Église Notre-Dame de Paris sur la terre de Sainte-Marie - 2

La dynastie nouvelle que la Providence plaça sur le trône à la fin du dixième siècle fut, comme celle qu'elle remplaçait, toute dévouée à Marie. Helgand, historien du roi Robert, nous apprend que la glorieuse maison de Hugues Capet, cette maison si pleine de foi et de séve chrétienne, faisait profession d'un culte spécial envers certains saints qu'il énumère; et en tête de cette liste figure la sainte Vierge: Erant huic generationi speciales amici, sancta videlicet Maria, etc.... L'église Notre-Dame était l'objet de la prédilection de ces princes, et la première dans leur estime entre toutes les églises du royaume. Son cloître était l'école première où ils aimaient à placer les enfants de France, comme sous l'oeil et dans le sein de Marie, qu'ils estimaient une mère meilleure que toutes les mères selon la nature. Là, les héritiers du trône étaient formés aux vertus chrétiennes, initiés aux lettres humaines et aux connaissances qui convenaient à leur haute position; et les charmes de cette première éducation leur demeuraient dans l'âme toute la vie comme un doux souvenir. C'est ce que nous apprend Louis VII dans une ordonnance de l'année 1155. Thibaud, évêque de Paris, et les chanoines du chapitre lui avaient demandé pour les possessions de leur église l'exemption de certaines redevances assez onéreuses. "Volontiers, répondit-il, nous vous accordons ce que vous demandez, par égard pour l'église de Paris, dans le sein de laquelle, comme dans une sorte de giron maternel, nous avons passé les moments de notre enfance et de notre première jeunesse, pour cette église spécialement chère à nos prédécesseurs, et la première entre toutes les églises du royaume." Ecclesiam parisiensem in cujus claustro quasi in quodam maternali gremio incipientis vitae et pueritiae transegimus tempora, antecessoribus nostris cariorem et inter regni ecclesias eminentem considerantes (1)

(1) Extrait du Grand pastoral, et inséré par Gérard Dubois dans son Histoire de l'Église de Paris, t. II, p. 17.

La huitième année qui suivit cette charte royale vit une bien autre manifestion de dévotion à Marie, manifestation vraiment digne du douzième siècle, de ce siècle qui fut comme l'époque de transition du monde ancien au monde nouveau, le principe de tant de grandes idées dans tous les genres, et l'aurore de la civilisation européenne. Sous Charlemagne, des germes féconds avaient été jetés dans les entrailles de la société; sous les rois suivants ils y avaient fermenté; au douzième siècle ils commencèrent à éclore au grand jour, à s'épanouir et à produire leurs premiers fruits: alors fut conçu et mis à exécution, au moins en partie, le plan grandiose de l'église Notre-Dame, de cette insigne basilique qui depuis six siècles est un des plus beaux monuments de la capitale. Pour exposer sous toutes ses faces ce grand fait si intéressant à notre point de vue, nous examinerons les quatre questions suivantes: 1° qu'était autrefois le terrain où fut bâtie l'église Notre-Dame? 2° qui fut le fondateur de cette église? 3° qui en posa la première pierre? 4° qui en continua la construction jusqu'à son complet achèvement?
Première question: qu'était autrefois le terrain où fut bâtie Notre-Dame? Cette question est pour nous du plus grand intérêt: car s'il est démontré que la cathédrale actuelle a été bâtie sur l'emplacement de l'église primitive, il nous sera bien doux de penser qu'en priant dans ce sanctuaire nous prions dans la première église élevée par les habitants de Paris en l'honneur de la Mère de Dieu, que nous nous agenouillons sur le même sol où se sont agenouillés les premiers chrétiens de l'antique Lutèce, là même où a commencé dans cette ville le culte de Marie, pour s'y continuer jusqu'à nos jours à travers les siècles qui ont vu tout changer sans le voir jamais s'altérer. Or, ce fait si consolant est démontré par l'inspection même du terrain. Car dans les fouilles qui se sont faites sous le choeur de la cathédrale en 1858, on a trouvé les fondations de l'église antérieure qui occupaient l'espace compris sous l'intérieur du choeur et offraient la même orientation que la cathédrale actuelle. Or, ou cette église antérieure était l'église primitive, ou, si elle ne l'était pas, il y a tout lieu de présumer que celui qui l'a construite aura respecté le sanctuaire primitif en le remplaçant sans le déplacer; il n'aura point voulu laisser à des usages profanes, en le désertant, un lieu consacré par la piété des premiers chrétiens et par les prodiges que Marie y avait opérés, il aura tenu au contraire à lui conserver son caractère religieux en le couvrant d'un monument plus digne.
Ce fait établie en éclaircit d'autres qu'un nuage semblait couvrir aux regards de l'histoire, et qu'on n'expliquait que difficilement. Ainsi, en lisant dans les monuments de l'époque que le duc de Bretagne, Geoffroy Plantagenet, fils de Henri II, et Isabelle de Hainaut, première femme de Philippe-Auguste, furent inhumés dans la cathédrale, l'un en 1186, l'autre en 1190, c'est-à-dire à une époque où elle était loin d'être achevée, puisque, comme nous le verrons plus tard, elle ne fut commencée qu'en 1163, on se demandait comment on avait confié ces tombes royales soit à un édifice qu'on allait bientôt abandonner, soit à une basilique en construction. Mais, s'il est démontré que la nouvelle cathédrale fut bâtie sur le même enplacement et dans la même orientation que l'ancienne, qu'elle n'en différa que par le caractère de l'architecture et par les dimension tellement supérieures, qu'elle put la circonscrire et la renfermer dans son enceinte, alors le mystère de ces sépultures s'explique: évidemment elles ont pu se faire soit dans le choeur de la nouvelle cathédrale s'il était achevé, soit, s'il ne l'était pas, dans l'ancien choeur qui devait plus tard faire partie du nouveau; et, en effet, dans les fouilles de 1858, on y a trouvé les deux tombes royales dont nous parlons.
Ce fait nous explique également un autre mystère. Comment, disait-on, se fait-il que les historiens ou chroniqueurs contemporains ou peu postérieurs à l'achèvement de la cathédrale se taisent tous, si on en excepte Vincent de Beauvais, sur des événements aussi publics et aussi frappants que la construction de ce grand édifice, que le passage de l'ancienne église à la nouvelle, que la bénédiction et l'inauguration de celle-ci? Ni Rigord, ni Guillaume le Breton, ni Guillaume de Nangis, n'en disent le moindre mot: c'est une chose inexplicable. A cela nous répondons qu'à la vérité, si du vivant de ces auteurs on avait abandonné l'ancienne église et transporté le service divin dans une autre nouvellement bâtie, ce fait aurait dû frapper vivement l'attention publique et être mentionnés par les historiens de l'époque; mais que, si la nouvelle cathédrale a été bâtie sur l'ancienne, comme nous l'avons établi, le silence de ces auteurs se conçoit; ils auront vu la nouvelle cathédrale succéder à l'ancienne par parties détachées, d'une manière en quelque sorte insensible; et accusant peut-être la lenteur des travaux dont ils n'appréciaient pas l'inévitable longueur, ils n'auront remarqué dans le progrès et l'achèvement de l'édifice aucun fait saillant digne de l'histoire. On se servait successivement des différentes parties de l'église à mensure qu'elles se bâtissaient, en se contentant de les bénir sans éclat ni solennité, et voilà pourquoi la dédicace solennelle de l'édifice n'a pas encore été faite.

À suivre

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